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Rivière Ovangue: 1 ère partie

par Orevuno 13 Mars 2023, 16:44

 

 

 

Un guide touristique sur le Gabon de 1997 spécifiait : 

  • CLIMAT : petite saison sèche du 15 décembre au 15 février.                                                      En 2010, il me semblait que cette saison avait plutôt glissé du 15 janvier au 15 mars.

 

25 ans plus tard, on ne sait plus. Le dérèglement climatique est passé par là. Sécheresse au nord, inondations au sud. L’Ogooué ces dernières années connaît des crues que l’on qualifiait d’historiques mais qui sont devenues annuelles en novembre-décembre.

Fin janvier, il pleut un peu moins, le fleuve a regagné son lit, les bancs de sable hésitent à émerger.

Ces tergiversations climatiques ne peuvent cependant pas nous faire renoncer à notre expédition kayak bi-annuelle. L’année dernière pour les mêmes raisons nous avions renoncé à la rivière Ikoy, jugée trop encaissée et trop imprévisible et avions choisi l’option plus sûre des lacs (Azingo et Oguémoué) qui avait donné lieu à de superbes rencontres.

 

Après une petite navigation sur l’Ogooué afin de vérifier l’état du matériel et de saluer la nouvelle vigie de Lambaréné - un vieux mâle solitaire semble s’être sédentarisé en face de l’hôpital Schweitzer depuis le retour des hippopotames à Lambaréné - nous partons avec Manny vers le sud en direction de Fougamou.

 

 

Au PK42, une piste en parfait état mène sur la droite vers les installations pétrolières de Maurel-Prom au lac Ezanga. Une vingtaine de kilomètres plus loin, par une piste latérale sur la gauche, commence véritablement l’aventure.

 

 

 

 

 

Celle-ci est abandonnée ou pour le moins peu fréquentée; heureusement il n’y a pas plu depuis plusieurs jours et quoique accidentée par l’érosion, elle reste praticable à petite vitesse.

 

 

 

 

 

 

Jusqu’au pont fatidique perclus de grumes effondrées. On met pied à terre. 

C’est l’antienne classique de toutes ces expéditions en forêt, on le sait, mais ça énerve toujours un peu. Il faut rebrousser ( re-brousser) chemin pour rejoindre notre objectif et faire ainsi un détour de plus de 200 kilomètres par le sud.

A bien y regarder, des traces semblent  se dégager sur le bas-côté. Un passage à gué a déjà été utilisé, un peu acrobatique, avec de grosses ornières, mais le fond de la rivière est rocailleux.

Manny devrait pouvoir s’en sortir en 4X4.

 

C’est fait.

 

Etrangement, la piste alterne ensuite des tronçons roulants et d’autres envahis par la végétation. Nous progressons lentement. Soudain elle s’élargit, s’ouvre sur une grande clairière et une jolie rivière enjambée par un large pont où deux véhicules pouvaient se croiser autrefois.

Nous sommes probablement sur une ancienne aire de stockage des bois, prélude à un chantier forestier plus en aval.

Ici la rivière est large et profonde, le pont complètement béant où subsistent quelques vestiges de grumes, il n’existe aucune possibilité de contournement.

 

Nous vérifions notre GPS : il reste 8 kilomètres. Echouer si près du but, c’est rageant mais cette fois-ci, nous n’avons vraiment pas le choix : il faut faire demi-tour;

Sauf à porter nos kayaks gonflables, tout le matériel, la nourriture, sur cette distance.

Cela nécessiterait au moins deux aller-retour. Envisageable, mais épuisant.

 

J’examine à nouveau le pont; il y a bien un passage, très étroit, sur la partie droite…bordé d’un côté par un tronc qui devait faire office de rambarde, de l’autre…. par le vide ….

Il me semble que la largeur d’essieu de Manny devrait pouvoir correspondre…..à quelques centimètres près. Mais le terrain est légèrement déclive vers le vide et la moindre glissade serait compromettante. 

Le plan initial était que Coplan, notre chauffeur, nous accompagne jusqu’à notre mise à l’eau, puis ramène le véhicule à Lambaréné. Même si je franchis l’obstacle, je ne peux lui demander de retraverser seul ce pont. Qui est vraiment très délabré.

Je le parcours à nouveau à pied, évalue la stabilité du sol, l’apparente fiabilité des grumes de soutien, la largeur très limite, l’inclinaison. 

 

J’y vais.

 

Je progresse centimètre par centimètre, je frotte au maximum le tronc sur la droite, je sens que Manny est attirée vers la gauche, j’arrive au moment le plus délicat où trois misérables planches sont censées compenser l’étroitesse du passage, elles rebondissent, petit coup d’accélérateur…. 

ça passe à nouveau.

 

Il ne nous reste plus qu’à terminer le trajet, déposer le matériel, revenir avec Coplan, franchir à nouveau le pont, le laisser partir avec la voiture et refaire les 8 kilomètres, seul, à pied. 

Nous traversons ce chantier forestier dont nous avions supputé l’existence, avec ses véhicules abandonnés, ses cases délabrées, ses tonneaux qui jonchent le sol.

 

 

Je repère un tas de planches qui semblent en bon état et qui pourraient servir pour le retour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Après un dernier obstacle beaucoup moins périlleux que nous résoudrons à la machette, nous atteignons enfin notre objectif :

 

 

 

                             La rivière Ovangue

 

On décharge et nous repartons aussitôt. On s’arrête au chantier pour embarquer sur le toit quelques planches de beau bois dur. En chargeant l’une d’elles, je suis un peu court, elle glisse dans ma direction, j’ai juste le temps de faire un bond en arrière, mais elle rebondit sur le sol et vient me heurter violemment la cheville.

 

Je hurle.

 

La jambe n’est pas cassée mais l’impact tibial est très douloureux et laissera pendant plusieurs semaines deux traces bien visibles.

Ce qui est bien quand on a pas le choix, c’est qu’il n’y a pas de réflexion sur la direction à suivre, mais juste comment y arriver.

Au bout de 5 minutes, je retrouve mon souffle. Et reprends le volant.

Je parviens à conduire mais à l’arrivée près du pont, en posant le pied sur le sol, la douleur me scie à nouveau la cheville. Je titube. 

Après quelques mouvements, je peux marcher. 

On dispose les planches sur le passage le plus étroit afin de donner une meilleure assise au véhicule et effectivement, la traversée sera beaucoup plus sereine.

Coplan peut repartir mais il s’inquiète pour moi : 

“ ça va aller avec la jambe, il y a 8 kilomètres quand même ?”

Je le rassure mais boitille quand même un peu au début. Le muscle a été écrasé, mais quand il est chaud, il redevient fonctionnel.

 

La douleur s’estompe progressivement.

Il est midi. C’est finalement la chaleur écrasante qui m’incommodera le plus.

 

J’arrive enfin à la rivière.

Olivier a gonflé les kayaks et a pu explorer le coin.

 

 

Nos expéditions, nous les imaginons en premier lieu sur des cartes papiers, des cartes satellites, des cartes GPS. On détaille les forêts, les montagnes, les dénivelés. 

Nous sommes à peu près à mi-chemin d'une ligne droite qui irait du lac Ezanga à Mandji.

J’ai beaucoup exploré le Gabon par voie terrestre avec Manny, surplombé des fleuves et des rivières, fouillé d'innombrables pistes, et acquis une expérience assez globale du territoire.

Encore une fois, nous ne serons pas déçus, en tout cas pas par le préambule de celle-ci.

 

La rivière au pied du pont rassemble tous les critères de ces cours d’eau un peu rocailleux, stimulant d’agréables rapides, bordés d’une végétation exubérante d’où s’échappent les cris des calaos et des touracos, et qui donnent envie de s’y précipiter en kayak.

On distingue des petites chutes un peu en amont, l’eau est claire, bordée par endroits de bancs de sable.

 

On pourrait rester là, se fondre dans les couleurs de ce tableau paysager. 

Et puis attendre.

Attendre que le charme se dissipe pour passer à autre chose.

Sont-ce les épreuves endurées pour atteindre un but fantasmé qui exacerbent cette soudaine sérénité et la beauté du site?

Je me suis toujours demandé ( oui j’ai le neurone tourmenté) combien de temps les gens passaient en moyenne devant la Joconde, celle-ci étant le symbole de l’Oeuvre Absolue. Combien de temps faut-il pour absorber à satiété la magnificence du tableau, pour que l'éclat de la splendeur commence à se ternir ?

 

ça dépend.

Bonne réponse.

De manière générale, il n’y a que deux motifs essentiels qui peuvent faire abandonner la béatitude d’une contemplation. La lassitude, ou une contrainte externe impérative.

 

Nous avons un itinéraire comprenant une zone de terra incognita, aucune échappatoire possible, des réserves de nourriture pour dix jours. Il est 15 heures, il nous faut avancer.

Donc contrainte impérative externe.

Enfin, contrainte …. le mot n'est pas adapté à ce temple de la liberté.

Le lit de la rivière est encaissé dans une petite vallée rocheuse, un courant amical génère des rapides complices, les frondaisons se courbent en voûtes gothiques. 

 

On touche souvent, le niveau de l’eau est bas. Peut-être sommes-nous partis trop tard dans cette petite saison sèche ? Des chablis s’interposent dans lesquels on trouve toujours une petite issue, par-dessus, par-dessous. Oui, peut-être qu’avec un peu plus d’eau la progression serait plus facile.

 

 

Un magnifique banc de sable, un peu surélevé, étendu, idéalement posé dans une large courbe, nous offre une halte idéale. On a quand même pris un peu d’eau, il faut vider, comme d’habitude, réorganiser l’aménagement des kayaks, et profiter de l’endroit.

 

 

Le site serait parfait pour un premier bivouac et la baignade du soir.

Il est encore un peu tôt et selon le principe de l’impérative contrainte externe, nous décidons de continuer encore un peu.

Touracos, calaos, perroquets, ibis nous accompagnent en cette fin d’après-midi.

 

Soudain apparaît un autre volatile, assez imposant, d’envergure impressionnante, de couleur rousse, qui s’enfuit à notre approche mais que nous pourrons distinguer assez nettement à plusieurs reprises.

C’est une chouette de Pel, assez rare, peu connue, spécifique des cours d’eau car se nourrissant de poissons et de batraciens. 

 

 

 

 

Ces rencontres sont fugaces, un peu frustrantes, surtout quand l’objet de l’extase s’envole au moment où l’on a enfin réussi à extraire l’appareil photo de sa double protection étanche.

 

 

 

 

 

Mais cela fait partie du jeu. On est pas au Louvre.

Je garde l’appareil à porté de main.

La rivière s’élargit quelque peu et redresse son cours.

 

Une masse sombre se déplace plus loin au milieu, de l’eau au niveau des mollets.

On s’approche discrètement en essayant de se fondre dans le taillis des rives.

 

Cette fois-ci, nous sommes dans la grande salle du Louvre.

Un éléphant solitaire se promène paisiblement dans la rivière, en plein milieu, se dirige vers la gauche, puis revient sur ses pas. 

 

 

Il ne nous a pas vu, pas senti, indifférent en tout cas à ces humains boudinés dans leur improbable embarcation. Il profite de la fraîcheur de l’eau et nous de cet instant de pureté contemplative Absolue.

Au bout de quelques instants où le chronomètre du temps qui passe s’est arrêté, il choisit finalement la rive droite et s’enfonce tranquillement dans la végétation.

Ebahis mais vigilants, on attend un peu, on longe prudemment la rive gauche. 

Le rideau s’est fermé, la séance est terminée. La scène originelle avec son décor en perpétuelle et lente mutation retrouve son inexorable majesté.

 

On se reconnecte à cette Grandeur Nature, elle-même déconnectée et préservée d’un monde humanisé qui ne lui veut pas que du bien. Son isolement est sa sauvegarde. Pas facile d’arriver jusqu’ici, sans vraiment savoir ce qui nous attend, mais ces pépites d’instants magiques valent tout l’or inutile de médiocres apparats scintillants.

 

17 heures, l’heure où le bivouac devient prioritaire. Au bout de cette somptueuse ligne droite s’enchaînent deux petites courbes à la sortie desquelles apparaît le banc de sable souhaité.

 

 

La journée a été bien remplie, on va s’arrêter là.

Les traces d’un passage d’éléphants sont visibles mais semblent assez anciennes. 

Le temps d’installer les tentes, d’amarrer les kayaks, de profiter d’une baignade rafraîchissante dans ces eaux claires, d’entamer notre premier semoule-haricots rouges, la nuit tombe et avec elle une courte mais sérieuse averse.

 

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