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Rivière Ovangue 4 - Fernan Vaz

par Orevuno 30 Avril 2023, 17:05

 

J5 :

On embarque en général tôt le matin, pour une meilleure observation de la faune

Mais la rivière devenue civilisée et donc moins livrée à elle-même ne nous incite plus à ces arrachements matinaux.

Petit déjeuner tranquille, on sèche les affaires, on fait le point : plus de 40 kilomètres en une journée hier, 115 depuis le départ, on est dans les temps.

 

La forêt semble moins dense, les oiseaux effectuent leur migration matinale, perroquets, anhingas, aigrettes, calaos, hirondelles bleues, touracos.

Nous croisons quelques villages isolés et leurs pirogues de pêcheurs.

 Notre parcours depuis le départ longeait la frontière entre la province de la Ngounié et celle de l’Ogooué Maritime. A partir du village d’Azendje, le Rembo N’Komi s’élargit encore sous l’influence d’un des ses affluents et s’éloigne vers l’ouest pour rejoindre l’océan.

Les mouches tsé-tsé, hôtes des forêts-galeries, sont de moins en moins nombreuses dans cet espace ouvert.

Le paysage change sur la droite, les marais et leur décor de papyrus, palmiers, arbres adaptés aux zones humides s’étendent à perte de vue.

Cet écosystème amphibie protège ses mystères et seules des indiscrétions aériennes pourraient en dévoiler les secrets.

 La chaleur est écrasante, le fil rouge de l’équateur est à incandescence.

Nous nous réfugions sur la rive gauche à l’abri d’une forêt inondable et le soulagement est immédiat. On se rafraîchit à l’eau de la rivière afin de redonner à nos épidermes une température humaine. 

L’accostage n’est pas possible, nous déjeunons dans nos kayaks.

L’ombre bienfaitrice nous amène à nous poser rapidement la question du bivouac du soir. 

Aucun banc de sable, aucune savane, aucun sous-bois ne pourra nous accueillir pour la nuit. Nous relevons les villages en aval sur le GPS.

 

Nous croisons Ndougou au terminus d’une des dernières voies terrestres issues de la zone forestière et pétrolière de Rabi. Des monceaux de grumes s’accumulent sur un vaste terre-plein attendant leur évacuation.

Des engins s’activent, quelques pick-ups circulent entre des cases dispersées, des travailleurs s’affairent. On agite le bras de loin.

Il est 16 heures. Un petit village abandonné, en tous cas peu fréquenté, offre une berge herbacée bienveillante. Une dizaine de cases en bois longent le rivage. Un filet de fumée s’échappe de la brousse, derrière la dernière tout au fond.

  • “ To-to-to, il y a quelqu’un ?”

On entend du mouvement. Un vieillard apparaît, enroulé dans un morceau de pagne.

Nous nous présentons et demandons l’hospitalité pour la nuit.

  • “Oui bien sûr, installez-vous, j’arrive. “

Juste en face du minuscule débarcadère, le sol est plat, l’herbe est courte, entretenue par les quelques cabris qui gèrent le territoire.

 

 

 

Nous pourrions même nous abriter sur la terrasse d’une des cases en cas d’intempérie, l’endroit est parfait.

 

 

 

 

 

 

On remonte les kayaks, on pose les tentes, on se baigne, on se change : protocole habituel.

Le vieux arrive, marchant lentement à l'aide d’un long morceau de bois, bientôt rejoint par un de ses compères, tout aussi âgé. Ils ne sont plus que deux résidents permanents, parfois rejoints en saison sèche par la famille. Il n’y a plus d’activité dans le coin, il faut descendre plus vers le sud.

Comme beaucoup, ils ont travaillé dans plusieurs chantiers au cours de leur vie professionnelle et situent bien ceux que nous avons croisés. 

Le contact est facile, l’accueil chaleureux, les gens aiment qu’on partage l’amour pour leur pays.

Ils sont revenus au village pour leurs vieux jours. 

D’ici peu, ces mémoires s’en iront, le village Mpéré ne sera plus qu’un souvenir sur la route du Fernan Vaz, une évocation écrite laissée par deux drôles de marins d’eau douce qui passaient par là.

J6:

 

La nuit fut paisible. 

Les deux vieux ( Vieux est un terme respectueux en Afrique) viennent nous saluer avant le départ. Nos histoires se sont croisées brièvement mais cette rencontre nous a touchés.

Le Rembo devient fleuve, les navettes qui transportent du matériel ou du personnel travaillant sur les chantiers sont de plus en plus nombreuses.

Véparene, village un peu recul, est la porte d’entrée sud de la mythique lagune du Fernan Vaz.

De nombreux récits du temps passé commencent ici.

L’immensité s’ouvre à nous et monotonise notre progression. Plus de courant pour nous aider, au contraire un petit vent de face nous contrarie et crée un pénible clapot. Les vieux nous avaient prévenus : s’il y a trop de vent, vous ne pourrez pas traverser.

On longe la côte sud en traçant une ligne droite afin de rejoindre une pointe loin devant nous. 

Seize kilomètres de galérien. Le soleil qui humilie, le vent qui s’oppose, le clapot qui use.

Le mode automatique est déclenché . On laboure l’onde avec opiniâtreté, on évapore nos pensées vers des récits lointains et consistants, on anesthésie les douleurs, on passe sous hypnose dans l’intemporel.

Aucune trêve n'est possible, le moindre arrêt nous fait reculer de cinq mètres.

Quatre, cinq heures ? Je ne sais plus.

Epuisés, on touche au but : terre ! Enfin .... un sous-bois inondable où l’on peut s’abriter et recharger les batteries : sardines-biscuits. 

Ici, aucun bivouac n’est envisageable, aucune échappatoire n'est possible.

Il nous faut absolument arriver au village Odimba avant la nuit.

L’après-midi est déjà bien avancée, il reste environ trois kilomètres de nouvelle traversée, théoriquement tout à fait faisable.

Mais le ciel s’est obscurci derrière nous, boursouflé de monstrueuses masses nuageuses dont la colère s’exprime déjà par des éclairs lointains.

On repart. Le vent a forci, avant-garde des cohortes qui suivent.

De nouveau, seuls les bras et les épaules réfléchissent. 

Après le marathon, nous enchaînons avec un sprint. Notre objectif : la mission Sainte Anne d’Odimba dont nous apercevons au loin le clocher. L’horizon se couvre de tous les côtés, nous encercle et fond sur nous, misérables proies étourdies au milieu des éléments..

Je me retourne régulièrement: le spectacle est grandiose dans sa démesure. 

Mais la dithyrambe laisse vite place à la course-poursuite.

Nous approchons. Un long quai en béton est maintenant bien visible. Il faut faire attention, les vagues nous propulsent sur les piliers. Nous parvenons à nous hisser sur la plateforme : sauvés!

Les premières gouttes sont déjà là, lourdes, cinglantes. On transporte tout le matériel vers le pied de l’escalier qui mène à la mission. En quelques secondes, nous sommes trempés, noyés sous des trombes d’eau. Mais en sécurité.

Un homme à l’étage d’une des anciennes bâtisses à colonnades cerclées d’une double terrasse nous appelle. C’est le prêtre de la mission. A l’abri de l’averse, on fait les présentations.

Ici aussi l’exode se fait sentir, les paroissiens sont de moins en moins nombreux.

Le COVID a vidé le pensionnat, les touristes sont rares, les soutiens administratifs et confessionnels insuffisants. La situation est précaire.

 

 

 

 

 

Il nous propose un bâtiment délabré qui fait office de hangar où nous serons bien abrités.

 

 

 

 

L’orage est passé. On s’installe, puis on retrouve notre hôte qui nous fait visiter son église.

 

 

La mission est attachée au nom du père Bichet venu à la fin du XIXème siècle évangéliser les populations. Il repose dans un caveau en face de l’entrée de l’église. Sa mère, riche héritière, lui a offert une église construite par les usines Eiffel.

 

 

 

 

La construction entièrement métallique, assemblage de pièces boulonnées, a été transportée puis remontée sur le site actuel.

Le bâtiment garde la grandeur d’un lieu de culte et l’originalité de sa conception mais a perdu beaucoup de son lustre. Des pans de la toiture sont effondrés, l’humidité ronge les boiseries, les vitraux sont en voie de dislocation, le transept et la nef sont fragilisés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des expertises et des devis ont été faits, reste à trouver le financement…..

 

J7 :

 

Une dizaine de personnes assistent au culte à 7 heures du matin.

On s’éclipse discrètement en laissant notre aumône (quelques boîtes de sardines).

 

Après avoir longé le village Odimba, on se dirige vers une très grande île que nous allons rapidement surnommée l’île aux calaos.

Les arbres sont de dimensions moyennes dans ces îles marécageuses mais proposent de superbes observations de nombreux calaos à casque noir. Nous les traquons souvent en forêt, facilement identifiables à leurs cris rauques et au froufroutement caractéristique de leurs ailes en vol. Et ils s’offrent à nous ici sans frayeur, des couples, des célibataires, des plus jeunes, posant paisiblement sur des branches dénudées. Tous ne sont pas visibles mais des dizaines s'égosillent dans tous les feuillages de l’île.

 

Notre prochaine objectif est l’île aux gorilles où un programme de réintroduction est en place depuis plusieurs années. Le COVID ici aussi semble avoir perturbé le déroulement des opérations.

Les visites sont interrompues, les gorilles non visibles, même de loin. 

Les explications sont vagues, on en saura pas plus.

 

Nous longeons l’île en espérant surprendre nos amis bipèdes en semi-liberté.

Rien. Aucun cri, aucune branche habitée, aucun mouvement au sol.

Une nouvelle et longue traversée de la lagune nous attend vers le nord.

Un vent latéral forme des vagues soutenues, le four solaire est en mode cuisson maximum, on fixe à nouveau une pointe, là-bas loin devant. Difficile de garder un cap, le vent et les vagues nous dévient en permanence vers la gauche. J’essaie de prendre des amers, au loin, pour estimer notre progression. C’est décourageant, j’ai l’impression de ne pas avancer.

Une petite plage de sable surélevée où prospère quelques palmiers et palétuviers nous offre le couvert et nous permet de nous restaurer et de nous dégourdir les jambes avant la dernière étape : Omboué.

Le soleil est au zénith, le vent tenace, plus que cinq kilomètres.

Omboué est la “capitale “ du Fernan vaz, lieu de villégiature sur la route du sud vers une autre célèbre lagune, la lagune Iguéla et le parc national de loango. On y trouve un petit aérodrome, un centre de santé, un centre administratif, des commerces en tout genre. Nous longeons cette petite ville bâtie sur le sable. Une jolie construction en bois sur pilotis au-dessus de l’eau mène par un ponton à une petite plage où nous accostons.

Des femmes travaillent le rotin en chantant à l’ombre d’un bâtiment.

Notre charme naturel opère une nouvelle fois: elles veulent tout savoir, qui on est, d’où on vient, et pourquoi, et comment? mais tout ça dans les rires, les exclamations, la spontanéité.

On se renseigne sur les possibilités d’hébergement. 

L’une d’elle loue des chambres à un tarif abordable dans sa maison pas loin.

L’autre propose de nous organiser le repas du soir sur une terrasse.

 

On nettoie les kayaks, on les fait sécher, on les replie dans leur sac.

C’est fini, on s’installe sur la plage de l’hôtel pour savourer notre première régab depuis huit jours, après 220 kilomètres de dérivation aquatique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonne arrivée !






 

J8:

 

Un mini-bus quitte Omboué à 7 heures ( théoriquement) pour Port-Gentil.

Depuis trois ans, une route goudronnée s’infiltre entre sable et eau pour rejoindre la cité pétrolière. 

 

Le voyage dure deux heures et traverse un magnifique paysage entre lagune et océan, surplombe par deux ponts de presque cinq kilomètres chacun embouchures et rivières, marécages et zones inondables. 

On prend la mesure de l’ampleur de ce chantier pharaonique.

 

Port-Gentil. C’est fini, on est arrivé à notre dernière étape terrestre avant le retour.

Petit hôtel, simple mais correct, après-midi de farniente, on laisse reposer le corps.. 

On s'enquiert des billets pour la navette du lendemain vers Lambaréné.

 

J9:

A nouveau départ aux aurores, quelque peu retardé par le courroux céleste.

Deux heures plus tard, on peut enfin partir pour une croisière le long de l’Ogooué jusqu’à Lambaréné.

La boucle est bouclée.

 

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