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Rivière Ovangue 2 : La nuit sombre.

par Orevuno 26 Avril 2023, 09:05

 

Avant de nous coucher, profitant d’une accalmie de l’averse, nous scrutons à la lampe frontale les abords de la rivière. Trois paires de bille rouge caractéristiques se détachent sur la rive opposée à notre campement : des crocodiles nains, inoffensifs, nous observent, espèces bipèdes inconnues dans leur territoire.

 Les crocodiles du Nil, beaucoup plus imposants, sont absents de la région. 

Théoriquement.

 

La pluie reprend. Ma tente de raid, qui commence à avoir pas mal de nuits équatoriales au compteur, n’est plus parfaitement étanche et l’eau goutte en abondance par les coutures du plafond.

J’emballe soigneusement tous les vêtements, appareil photo, livre, dans deux grands sacs étanches. Le matelas gonflable me protège du sol humide, j’enfile mon k-way, et parviens à me faire une petite place entre les gouttes.

 

Vers minuit, il ne pleut plus. 

J’en profite pour faire miction comme on dit ici. Je sors.

Cette fois-ci, une seule paire d’yeux rouges apparaît dans le faisceau de ma frontale, mais de notre côté, juste à l’extrémité de notre banc de sable.

 Non seulement elle a changé de rive, mais je la trouve relativement proche. 

A bien y regarder, notre aire de repos s’est sensiblement rétrécie,  le niveau de l’eau est monté, mais reste encore à distance des tentes et des kayaks.

La proximité de ces yeux est troublante quand même.

 

2h30 : une coulée d’eau froide dans le cou me réveille en sursaut. 

La pluie s’est-elle remise à tomber en s’égouttant juste dans le creux de mon épaule ?

Je tends la main pour m’essuyer.

Ce n’est pas une coulée, mais une inondation. Ma tête trempe dans l’eau, le matelas flotte, toute la tente baigne dans vingt centimètres d’eau.

Je réalise instantanément, la rivière est en crue ! Il a dû beaucoup pleuvoir en amont.

Il faut réagir. Vite !

Heureusement toutes les affaires sont calfeutrées dans les sacs étanches. 

Je cherche ma lampe frontale, la seule chose que j'ai posée sur le sol. 

Impossible de mettre la main dessus, elle doit flotter quelque part.

Je m’énerve dans l’obscurité totale et hurle :

  • Olivier, debout, l’eau est montée, dépêche toi, sors !

 

Olivier est plutôt du genre laconique, surtout à cette heure de la nuit. 

Je l’entends réagir vivement :

  • Heinnn …????”
  • Dehors ! Rassemble tes affaires. On démonte les tentes. 
  • Ah oui ! moi aussi l’eau commence à rentrer !

 

Nous avions pris soin d’amarrer les kayaks et de suspendre les pagaies. 

On retourne les embarcations qui commencent à dériver pour les faire flotter, on démonte en vrac les tentes que l’on jette avec les sacs à l’intérieur, on vérifie les attaches.

L’eau continue de monter et nous arrive déjà aux genoux.

Tout le matériel vital est sauvé, j’ai juste perdu ma lampe frontale, mais peut-être s’est-elle glissée quelque part dans la précipitation.

 

Que faire ?

 

Inutile et trop dangereux d’essayer de pagayer dans la nuit noire pour trouver un endroit surélevé où se re-poser.

 

Il faut rester là, et patienter jusqu’au petit jour.

 

Demi-allongés, demi-assis, on s’installe au fond du kayak, autre avantage du gonflable.

Il ne pleut plus, mais nous sommes trempés jusqu’aux os. Très vite, le froid nous transperce.

Les moustiques et autres bestioles volantes, piquantes et vrombissantes nous harcèlent.

La tente devient une couverture dans laquelle on s’emmitoufle.

Sous le kayak, le courant se gonfle de son importance et nous maintient plaqués contre la rive et les branches basses qui s’en détachent.

Pourvu qu’un serpent ne s’y aventure pas !

Chaque bruit devient suspect. Est-ce une branche qui vient de tomber ?

Là, on aurait dit un rugissement lointain ? On craint par-dessus tout le magnifique éléphant de jour, devenu mastodonte indésirable la nuit.

 

On fait le point sur la situation, on ne s’en sort pas trop mal.

L’expectative du pire est toujours cyniquement apaisante.

On cherche la meilleure position, la meilleure protection.

 

C’est long l’inconfort en milieu hostile, dans la pénombre, sans aucune maîtrise sur son environnement.

Le temps passe, avec minutie, sans déroger à son emploi du temps.

Des instants de somnolence parviennent à s’infiltrer dans cette litanie de l’attente.

Ces situations scabreuses invitent à la remise en question, au doute, à l’introspection.

Ce n’est pas la première fois, sans doute pas la dernière, et la conclusion est toujours la même:

“Mais qu’est-ce que je fous là ?”

 

Les sons se répètent, deviennent lancinance.

 

Et puis enfin, l’obscurité s’adoucit, devient progressivement laiteuse, des formes apparaissent, le jour se lève, on salue son voisin. 

Le banc de sable a bien sûr totalement disparu.

On apprête les kayaks comme on peut afin de pouvoir pagayer, on détache les cordages, et c’est reparti.

Très vite, je retrouve dans un arbre couché au bord de la rivière un sac que j’avais laissé à l’extérieur hier soir. Rien de précieux, mais on reçoit toujours avec plaisir dans les moments d’infortune les signes de bienveillance du destin.

La rivière a complètement changé d’aspect, l’eau est marronnasse, le courant puissant.

On se laisse dériver à la recherche d’une surface plane sur laquelle déployer et faire sécher le matériel. Les vestiges d’une immense plage nous accueillent.

 

 Le soleil s’est levé, on s’étale. 

A part la frontale qui a définitivement disparu, le bilan comptable est satisfaisant : tout est là.

On s’accorde un bon petit déjeuner.

Les affaires sèches et soigneusement rangées, une nouvelle journée commence !

La quiétude est de courte durée.

 Les images satellites avaient montré une zone de terra incognita, où la rivière disparaît sous la végétation. On avait imaginé une zone de forêt inondable, où elle s’épancherait sous les frondaisons, dans un lit indistinct qu’il allait falloir prospecter sous la tutelle du GPS.

 

Très rapidement un premier chablis nous attend. Il faut s’allonger complètement au fond du kayak pour pouvoir se laisser glisser sous un volumineux tronc qui occupe toute la largeur, tout en maîtrisant la force du courant qui nous propulse, se glisser à droite, à gauche, trouver des ouvertures. 

Porter les kayaks au-dessus des troncs, les reposer sur quelques mètres, recommencer.

 

Ce n’est pas un chablis, mais un monstrueux embrouillamini végétal, filtre compact empêchant toute intrusion humaine, fait d’arbres couchés, de taillis, de bois morts dérivants, mais surtout de longues lianes aux épines acérées qui nous font craindre le pire pour nos kayaks gonflables.

 

Ce n’est pas un labyrinthe, c’est un enchevêtrement incohérent. L’accès aurait-il été plus facile avec un niveau d’eau moins élevé ? Difficile à dire.

 

On prospecte le meilleur passage, Olivier ouvre la voie à la machette ( autre accessoire indispensable). On coupe, on écarte, on soulève, on protège.

Fourmis rouges et autres invertébrés dérangés dans leur no man’s land nous assaillent.

On avance mètre par mètre, obnubilés par les épines qui griffent la surface des kayaks. 

La chaleur nous écrase. Quelques secondes de répit, et on recommence, ça n’en finit pas.

On comprend maintenant pourquoi la première portion de la rivière avait cet aspect dithyrambique de décor originel, protégée des invasions par les portes de l’enfer. 

Que nous devons franchir à tout prix.

L’épuisement rend lyrique.

Après le cauchemar nocturne, le supplice diurne. 

Après l’extase de la veille, le calvaire du lendemain.

Enfin, les espaces navigables s’allongent. On respire. 

On sait que cette grosse difficulté passée, il n’y en a plus d’autres.

 Normalement.

La rivière s’élargit. D’immenses arbres, eux aussi préservés, étalant leur canopée, se dressent majestueusement.

Les oiseaux et les singes saluent notre lever de rideau et nous récompensent de notre persévérance par leurs chants et leurs cabrioles.

Cette fois-ci c’est sûr, nous sommes passés “ de l’autre côté”.

Une maman éléphant vient voir ce qui se passe, son petit bien à l’abri derrière elle.

Elle effectue une courte charge d’intimidation. Le petit, d’instinct, choisit la fuite en arrière. 

La situation sous contrôle, elle le rejoint et disparaît dans la brousse.

Des torcatus, trop occupés dans leur dégustation de fruits, se laissent observer d’assez près.

Plouf, plouf, plouf ! De nombreux petits crocodiles, bien dissimulés sur des branches gisantes sur les rives, sautent à l’eau avant que nous ne puissions les observer.

 Un seul gavial aura l’obligeance de se laisser surprendre.

Sur une surface dégagée repose un squelette complet de buffle.

De jolies hirondelles bleues nous survolent en escadrille.

 

Damnation! Nous avons crié victoire trop vite !

Un chablis, puis deux, puis un nouveau long couloir, correspondant à un rétrécissement de la rivière, fouillis de lianes et de chaos végétal, obstrue notre itinéraire.

Il faut recommencer l’épreuve fastidieuse. On se griffe en voulant protéger les kayaks de ces horribles épines, on porte, on coupe, on se coupe, on débranche, on effeuille.

Les fourmis, araignées, chenilles piquantes, redoutables combattantes, défendent leurs territoires.

 

Enfin l’horizon s’éclaircit.

Après une dernière vérification sur le GPS, nous sommes cette fois vraiment sortis de la terra incognita. Une sitatunga sur une rive herbacée, s’étonne de notre présence.

 

L’après-midi est déjà bien avancée. La journée a été longue.

Pas question de bancs de sable, ils ont disparu depuis bien longtemps.

Les berges ont pris de la hauteur. Dans un petit renfoncement de la forêt, protégé du courant, nous hissons les kayaks. 

On se dégage une petite surface à la machette, à l’écart d’un arbre gigantesque qui doit produire des fruits appréciés au regard des nombreuses traces d’animaux qui l’entourent.

 

Repos.

 

 

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